Voyage

Forêt magique en Angleterre: extrait de carnet, 2017

Avant d’être nomade: Angleterre, juin 2017. Extrait.

Je suis chez moi, je prépare mon périple anglais. J’essaie de comprendre où les guides veulent m’emmener. J’ai d’abord cru l’Ecosse, puis ai compris que ça n’était pas encore. Je vois pourtant une forêt mystérieuse qui m’appelle très fort. En voyant le drapeau du pays de Galle, orné d’un dragon, je me suis dit « Bingo! », c’est là. Mais toutes les auberges de jeunesse sont complètes. Je ne comprends plus grand chose. C’est pas grave, je lâche prise.

Quelques jours plus tard, sans trop  réfléchir et juste pour voir de belles images je tape sur Google image « forêt magique« . Je me fais rêver avec des arbres magnifiques. Puis tout à coup une image me fait vibrer plus que les autres, j’en ai presque les larmes aux yeux. Ni une ni deux je regarde où c’est, en espérant qu’un jour je pourrai y aller. Bouche bée, les yeux équarquillés, je regarde la réponse à mon clic: Puzzle Wood, Gloucestershire, England. Frontière avec le pays de Galle. La question ne se pose pas, je connais maintenant l’étape manquante. Pour couronner le tout je trouve une auberge de jeunesse à Saint Briavel’s dans un château..

En route pour Saint Briavel’s

Après quelques jours à Bath, ville d’eau sacrée, connexion avec des réseaux telluriques et des arbres majestueux, me voilà en route pour Saint Briavel’s.

Etape: Bath-Bristol-Chepenham-Gloucester (prononcé Glosteur et non Glaoucéstère)

Je visite la cathédrale de Gloucester en mode sprinter chinois avec mon appareil photo, n’ayant qu’un temps très court avant le bus suivant pour Coleford, avec le sentiment que je ne dois pas le rater. J’ai quand même envie de voir ce joyau historique où, en plus ont été tournées quelques scènes de Harry Potter.

Juste intuition pour le bus.

Arrivée à Coleford, pas de bus pour Saint Briavel’s. Je suis fatiguée, j’ai mal au dos et je râle…

Je tombe sur Piete qui a décidé d’être mon ange gardien aujourd’hui. Pas commun, l’ange gardien. Il me pose pleins de questions auxquelles je ne comprend rien et a vraiment décidé de m’aider pendant que moi je me demande comment fuir ce drôle de personnage à l’accent incompréhensible. Il a la carrure d’une armoire du 18ème et me regarde comme si j’étais une glace à l’italienne. Evidemment l’auberge de jeunesse ne répond pas, je n’ai pas internet sur le téléphone et j’avoue, je suis perdue…

Are you a good witch?

Bon sens oblige, je ne pars pas en courant, et nous essayons de communiquer. Je dis « essayons » car je ne comprends absolument pas son accent. Question que je comprends en revanche via mon stylo et carnet: « boyfriend? ». Oui bien sûr. Mon copain fictif travaille, le pauvre, et n’a presque pas de vacances. Il n’ a donc pas pu venir avec moi. Il me manque beaucoup… Mon travail? Spiritual Healing (seule traduction que je connaisse, soit guérison spirituelle). « Tu es une sorcière? » Demandé tout à fait sérieusement avec une pointe d’inquiétude. J’explose de rire et répond par l’affirmative. « A good witch? » Franchement dubitatif cette fois. Je rigole encore: « Oh yes! » Les muscles de son visage se détendent un peu, mais il ne me parle plus de mon copain.

Après 20 minutes d’attente qui m’en paraissent 45, un bus arrive enfin. Piete monte avec moi pour me montrer le bon arrêt et me rapprocher de ma destination.

Arrivé au bon arrêt, il descend aussi et je lui demande un peu inquiète si c’est par là qu’il habite? Non, me dit-il, c’est juste pour me montrer la bonne route.

Une fois au croisement où nos routes se séparent en théorie, il demande à des compatriotes si la route que je vais prendre est « safe » et si elle mène bien à Saint Briavel’s. Ils nous répondent que oui, sur ce il s’en va, sans oublier de me donner son adresse et numéro de téléphone. Il espère que je viendrai chez lui…

Pense au burger…

Mais je suis sur la bonne route, joli chemin de campagne sur lequel je ne risque pas de me faire écraser par des fous du volant. Je me sens tout à coup remplie de gratitude, et mon mental me fait tout un laïus sur les jugements hâtifs, de l’accueil du coeur et de la confiance. Mais au cas où il déciderait de faire demi-tour, je me décide à avancer d’un bon pas.

Après toutes ces émotions et une longue journée de trajet me voilà partie pour 1h30 de marche avec mon gros sac-à-dos. Ma consolation? J’élimine le burger d’hier soir… Je suis tentée de faire du stop, mais je le vis comme un petite victoire d’aller jusqu’au bout en marchant, même si les petites côtes me paraissent des montagnes à gravir et que je suis en nage. Pense au burger…

L’arrivée au château

J’arrive enfin au château de Saint Briavel’s dont le charme me fait tout de suite oublier mes péripéties de la journée, dont mes 8 heures de trajet. Le village est minuscule. A vrai dire, il n’y a que le pub, le château et quelques maisons. Sans oublier l’église et le cimetière, juste en face. Le tout entouré de verdure et d’arbres majestueux. Le château n’est pas très grand, mais imposant et tout en rondeur.

On dirait un lieu de conte de fée. Deux grandes tours de pierres invitent à passer sous l’arche pour rentrer dans la cour. Le mobilier à l’intérieur est en bois sombre et les escaliers qui mènent aux chambres sont en vieille pierre. On sent que tout a été mis en oeuvre pour conserver l’ambiance.

Le réceptionniste réussit à me faire comprendre que ce soir ils organisent un banquet médiéval et étant la seule de l’auberge qui n’est pas inscrite, ça les arrangerait grandement que je rajoute le supplément de 5 livres et que je fasse comme tout le monde. Allons-y gaiement, c’est la petite surprise de l’arrivée.

A l’heure du repas, je me sens comme un cheveu sur la soupe. Tout le monde est déguisé, sauf moi. Le réceptionniste, ainsi que tout le personnel se sont également apprêtés aux couleurs des auberges de jeunesse anglaise, c’est à dire tout en vert fluo, mais version moyen âge… L’animateur a l’air de beaucoup s’amuser dans son rôle.

Bilan: drôle de soirée…

Lire le roman d’une femme anglaise projetée 200 ans en arrière en passant à travers des menhirs pour se retrouver dans les Highlands en pleine guerre avec les dragons rouges, armée de sa majesté d’Angleterre, qui est menacée d’être jetée au bûcher pour sorcellerie (livre de la série Outlander, écrit par Diana Gabaldon).

Dans le temps présent, moi, assister à un banquet médiéval en Angleterre où ils parlent de français ennemis qu’ils ont vaincus et de sorcières à qui on coupe la tête c’est plutôt étrange. Mes compagnons de tablée, des cyclistes retraités à qui on a prêté des robes trouées plus ou moins d’époque m’offrent de la bière brune qui est plus que bienvenue!

En allant me coucher dans le dortoir d’une des tours, j’ai l’impression de connaître le lieu.

Comme dans un vieux roman

Pour ce qui est de savoir où je dois aller demain, c’est un grand mystère. Je me dis que Puzzle Wood, cette forêt qui avait fait vibrer mon coeur pendant mes recherches sur internet est sûrement bien trop loin. Et vu comme ça a été compliqué pour arriver ici, je me dis que finalement ça n’était peut-être pas là-bas que je devais aller.

« Laisse-toi guider ». Frisson du coeur. OK.

Présence de mes guides.

La nuit je rêve de moi en costume médiéval vert avec un turban sur la tête en train de parler à un homme dans la forêt.

Je tourne un peu en rond, prend des photos, attends que mon téléphone complètement à plat charge après deux tentatives infructueuses. Pourtant hier soir la batterie était pleine. Je ne me vois pas partir seule dans les chemins de forêt moyennement balisés sans téléphone. Le souvenir du Dartmoor où j’ai failli me perdre lors de mon précédent voyage dans les forêts anglaises me suffit.

En attendant je suis dans une espèce de coton. Le brouillard, le château, le vieux cimetière, et la fatigue m’amènent à un drôle d’état.

Je flâne dans le cimetière, sanctuaire des âmes paisibles. Arbres magnifiques qui veillent au repos. Je les sens vraiment comme des gardiens. J’aime ces vieilles tombes bancales où les gravures de la pierre ont été depuis longtemps effacées. Elles sont entourées de verdure, de vie, comme pour rappeler que le cycle de s’arrête jamais. Je me croirais dans un roman, hors du temps.

Faire confiance

Je me balade dans le jardin du château, où il y a une petite mare . Un homme me dit avoir vu une salamandre, mais elle n’a pas l’air décidée à réapparaître devant moi.

Une fois mon téléphone chargé me voilà donc fin prête pour aller explorer les forêts alentours et vivre ce pourquoi on m’a guidée ici. Je suis devant la porte, envie de marcher. Et là une pluie torrentielle se déclenche. Je souffle, j’accepte, je ris et vais m’installer dans le salon du château pour bouquiner. J’ai l’impression d’être dans un film à rallonge. Quelques bruits diffus, quelqu’un qui passe de temps en temps, le vieux décor, la pluie, la fatigue. J’ai presque fini mon livre, frustrée de lire trop vite, j’essaie de ralentir ma lecture.

Super, il s’est arrêté de pleuvoir. Je range mes affaires, prête à courir dans la forêt.

Au moment où je fais un pas dehors la pluie se remet à tomber.

Ecoute la petite voix

Une petite voix intérieure me dit : « Finis ton livre ». Euh oui d’accord. Je me remet donc confortablement dans le gros siège en cuir. Quelques minutes après des flashs de Puzzle Wood m’arrivent dans la tête en saccade. Cette fois j’ai compris. Quitte à y aller en taxi, tant pis j’y vais. Comme une décharge électrique dans le corps, me voilà debout.

Je pars à la recherche d’un membre du personnel de l’auberge pour demander comment faire lorsque j’entends dans la cuisine deux femmes qui prononcent distinctement le mot Puzzle Wood au moment où je passe. Je demande si c’est loin? C’est à 15 minutes en voiture, me disent-elles. Elles vont peut-être y aller et me proposent de m’emmener. Elles auront décidé d’ici un quart d’heure. Tout simplement magique. Je retourne m’asseoir avec mon livre, je souris. Bien sûr il s’arrête de pleuvoir aussi sec.

30 minutes après me voilà devant l’entrée du circuit de cette forêt magique.

Les mystères d’une forêt ancienne

Je descend dans les dédales de pierres embrumés avec les arbres qui englobent les rochers de leurs racines, tels des gardiens silencieux. Tout danse ici, au rythme de la Terre, rythme lent, envoûtant, pénétrant et mystérieux. Le sommet des arbres couvre le ciel, leur racine recouvrant de grandes pierres. La mousse se promène partout accentuant cet aura de féérie. Des nappes de brouillard diffuses au milieu de parois rocheuses ajoutent une touche de mystère supplémentaire.

Je croise parfois mes anges taxis, ceux grâce à qui j’ai pu arriver ici en voiture.

Sur des chemins parallèles (au sens propre) ils sont perdus et essaient de retrouver la sortie. Les chemins suspendus se croisent dans tous les sens. A plusieurs reprises nous nous voyons de loin, comme dans un labyrinthe. Chacun se perd.

Les lutins aussi aiment la purée

Je continue à marcher, émerveillée. Sur une partie de la forêt une intense odeur de purée pénètre les narines. Je me demande si je rêve mais je croise une femme qui me demande si je sens la même odeur. Il n’y a pas l’air d’y avoir de maison alentour, c’est surprenant et complètement décalé. Nous nous regardons sans rien dire et je suis sûre que la même image traverse notre imaginaire. Pour ma part des lutins en train de cuisiner. Nous rions.

 

Après un temps impossible à déterminer et je sens qu’il est temps pour moi de partir de la forêt. Je n’en ai aucune envie. Intérieurement je proteste. On me dit que je reviendrai, qu’il est important que je rentre, question de sécurité. J’ai l’impression d’être une enfant de 4 ans qui fait un caprice et à qui les adultes expliquent gentiment que c’est comme ça.

Alors tout en me laissant sagement guider vers la sortie je goûte mes derniers instants dans ce temple vert.

Envahie de gratitude, je franchis le portail en bois et à ce moment-là je vois le petit groupe de l’auberge qui m’a amené. Ils sortent du circuit exactement en même temps. « On s’est perdu pendant au moins une heure » me disent-ils. Je ris dans mes moustaches et rentre donc en sécurité, en voiture, et au sec.

Joie infinie pour cette journée hors du commun.

Le lendemain je poursuis ma route vers les Cornouailles…

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